The Travail of Dieudonné pourrait passer pour le procès de Muzunguland et des Muzungulanders. La vie de Dieudonné sert de trame à cette histoire qui couvre plus d’une soixantaine d’années dans un coin d’Afrique (Warzone) riche de son sol mais appauvri par les choix économiques du colonisateur et par la convoitise des chefs de guerre et des puissances étrangères qui financent la guerre qui le ravage.
Muzunguland a tout pris à Dieudonné : sa terre natale, son père, sa mère et ses sœurs, sa religion, son identité, son nom, sa fierté, sa masculinité, et enfin son épouse, Tsanga. Il se décrit lui-même comme suit : « je ne suis rien », « nous sommes ce qu’ils veulent que nous soyons ».
Dieudonné est un faux « Candide ». Cet homme que l’on ne peut qualifier d’heureux ou de malheureux, est persuadé qu’il n’a aucune prise sur sa vie et dit laisser « Dieu guider ses pas ». Tout ce qui passe dans sa vie est « le fait de Dieu » ou celui des Muzungulanders. Au point que bien souvent, les Muzungulanders se confondent avec Dieu tellement leur emprise sur sa vie est grande. De son enfance dans un village d’Afrique sous influence coloniale, à l’exil de son père à Muzungu Avenir, à l’enrôlement de celui-ci dans l’armée de Muzunguland, à la mort de celui-ci, Dieudonné (nom chrétien donné par des missionnaires jésuites aux allures de bandits) sur lequel le sort et les Muzungulanders s’acharnent, semble n’avoir ni contrôle sur sa vie ni influence sur celle de ceux qu’ils rencontrent. Les choses qui lui sont le plus chères sont lui-même, la boisson et la musique Il prétend aimer sa seconde épouse, mais cette union est vouée à l’échec car autant Dieudonné se complait dans sa misère, autant elle aimerait le voir en sortir. D’ailleurs, Tsanga qui finira par le quitter (pour un mercenaire Muzungulander) à cause de son ivrognerie et de son manque d’ambition.
Jusqu’à sa rencontre avec Dieumerci (un jeune étudiant qui voit en lui une source de données pour un travail scientifique), personne ne semble s’intéresser à Dieudonné. Même les habitués du bar Grand Canari, qu’il fréquente assidûment, ne le connaissent pas vraiment. Dieumerci est le prétexte qui conduit à la relation de la vie de Dieudonné. Il semble d’ailleurs que les informations attendues sur l’introduction de la culture du coton à Warzone n’aient pas été fournies par Dieudonné.
Dans le livre, Dieudonné est décrit comme un ivrogne qui, à cause de ses penchants pour l’alcool, a toujours des problèmes avec ses employeurs et avec son épouse Tsanga qui se bat tous les jours pour l’emmener à se rendre à son travail. Dans ses moments lucides, il entretient sa nostalgie de son pays natal, de ses parents, sa misère, la maltraitance supposée des Muzungulanders.
En réalité, Dieudonné est un ivrogne, un homme qui a abandonné sa mère et ses sœurs et qui « espère » les revoir seulement si le destin (ou quelqu’un) le permet. Il accuse les blancs (et Dieu) de le traiter comme une « chose » mais son pire ennemi c’est lui-même. C’est un homme très intelligent et très lucide quand il s’agit de justifier ses actes et ses choix de vie en accablant le « destin ». C’est également un caméléon qui se transforme pour se conformer aux attentes de ses employeurs, de ses copains de bar, etc. Dans le livre, il est à la fois historien, économiste, sociologue et surtout philosophe. Il a le verbe facile, l’anecdote ou le proverbe toujours à propos, ce qui le rend presque antipathique. Sa vaste connaissance des Muzungulanders, de leurs manies et de leurs phobies, son analyse critique de leur mode de vie, de leur soi-disant curiosité, de leur égoïsme, de leurs préjugés et de leur condescendance auraient dû en faire un révolté.
Mais curieusement, malgré tous les maux attribués aux Muzungulanders, Dieudonné semble avoir un faible pour eux. Bien qu’il affirme « qu’il n’y a ni argent blanc ni argent noir », à part ses années d’apprentissage chez un cordonnier de son pays natal, il n’a aucune expérience de travail auprès des Mimbolanders, allant d’employeur Muzungulander à employeur Muzungulander sans rechigner. Il prétend avoir quitté des employeurs qui ne le respectaient pas mais retourne implorer les Toubabys de le reprendre après qu’ils l’aient licencié.
Dieudonné ne change pas, il s’adapte. Dieudonné ne se rebelle pas, il s’apitoie sur son propre sort. Il ne se bat pas, il accepte les coups, qu’ils viennent de ses semblables ou de la vie, les accueille presque tant ils lui permettent de se conforter dans son rôle de victime. Il ne hait pas plus qu’il n’aime. Il se plaint de sa vie mais ne fait rien pour qu’elle change.
Dieudonné déclare qu’il ne vole pas, ne ment pas, ne se venge pas. A l’entendre, le monde a tort de ne lui pas donner raison. Il espère des remerciements de ses employeurs ; il ne se sent pas coupable de manquer son travail quand il est ivre. En fait, il serait malheureux si sa situation s’améliorait. Il serait privé de l’excuse de sa vie : la misère.
Le livre aborde des thèmes comme les guerres civiles, les villes africaines et leurs populations, les déboires du système d’enseignement supérieur, les anciens combattants des guerres coloniales et leurs problèmes avec l’ancienne colonie, l’imposition des cultures de rente dans les colonies, le fléau des guerres pour les richesses minières des pays qui en possèdent, la perception de la religion, les relations entre hommes et femmes, etc.
Dans ce roman également, les femmes n’ont pas le beau rôle. Elles sont égoïstes, mégalomanes, vulgaires, vénales. Elles sont toujours mises en parallèle avec un homme (Monsieur-Madame Toubaby, Dieudonné-Tsanga, Dieumerci-Precious, Chopngomna-Margarita). Les propos sont sexistes à souhait à Grand Canari (bar où Dieudonné raconte l’histoire de sa vie). Dans ce bar, on trouve plus de femmes que d’hommes.
De toutes les femmes du livre, seule Madame Toubaby semble être en phase avec son homme. D’ailleurs, sous ses airs réprobateurs, ce livre est plus accommodant avec le Muzungulander qu’avec les africains : seuls Monsieur et Madame Toubaby sont éduqués, ils sont économes, n’ont pas un mode de vie ostentatoire. Les rapports de pouvoir sont à l’avantage du Muzungulander : personne ne semble vouloir (ou pouvoir) leur porter la contradiction. Le seul qui essaie (Dieumerci) a trop besoin des Toubaby pour pousser la critique.
Ce livre apparemment situé en Afrique centrale est quand même très « sénégalais » par endroit : La propension toute sénégalaise à s’attribuer tout mérite quand tout va bien et à tout mettre sur le dos de Dieu quand les attentes ne sont pas satisfaites, ce mélange de paganisme et Islam, la boisson (bouye, bissap).
The Travail of Dieudonné est aussi une chronique de la vie quotidienne de personnes ordinaires dans une ville d’Afrique. Il fait en certains endroits une opposition entre Christianisme et Islam. Cette comparaison fait abstraction du fait que toutes les deux religions sont importées et que l’Islam comme la religion chrétienne est « accommodé » par les populations autochtones et qu’il y a autant d’islams que de religions chrétiennes, tous aussi « locaux » que les recettes culinaires. Les religions et les coutumes autochtones (décrits dans le livre comme « païennes »), très présentes dans les quartiers défavorisés des villes africaines sont effleurées. Le livre ne mentionne pas également le retour sur cet aspect « adaptation » qui avait caractérisé l’implantation de l’Islam en Afrique.
The Travail of Dieudonné ressemble à son auteur : l’humour caustique, l’utilisation des mots et de leurs sonorités, cette fascination pour les langues vernaculaires issues du mariage des langues européennes et du sens pratique et la vie de tous les jours des utilisateurs africains, la « sagesse » des ivrognes, l’observation des faits insignifiants de la vie des petites gens, la mine d’informations sur cet important lieu de socialisation qu’est le bar.
Ce livre est intéressant surtout quand on a lu d’autres œuvres de son auteur. Comme dans les précédents, le personnage central est à la fois très « entouré » et très seul. Dieudonné ressemble beaucoup à Prosper (A Nose for Money) : il n’a ni parents, ni famille, ni descendance. Mais c’est finalement la seule similitude entre ces deux personnages.
Je suis pressée de lire votre prochain post
Posted by: http://www.pornstory.tv/ | November 09, 2013 at 06:21 PM
Very interesting novel by Francis Nyamnnjoh. Excellent
Posted by: Gerald | February 09, 2024 at 09:44 AM