Par Marie Ndiaye
Francis B. Nyamnjoh. A Nose for Money. Nairobi, Kenya: East African Educational Publishers Ltd. 2006. [ISBN: 9966-25-427-7; Price: Kshs: 350 US$: 5 Euros: 4]
J’aimerais remercier l’auteur pour un roman fascinant. Ce roman est presque une satire tellement l’auteur s’est attardé sur les travers sociaux d’un petit coin d’Afrique. Voilà un roman dont l’action se situe dans un pays qui ressemble à s’y méprendre au Cameroun, pays d’origine de l’auteur. Voilà une ville qui cristallise, à elle seule, toutes les tares des villes africaines (embouteillages, vendeurs à la sauvette, juxtaposition de quartiers cossus et de bidonvilles, prostitution, etc). Voilà un pays bilingue avec un pouvoir autoritaire, une opposition armée, une administration laxiste, des fonctionnaires corrompus, c'est-à-dire le lot de nombre de pays africains.
Dans ce pays, dans cette ville, vit Prospère, le héros du roman. Cet ouvrage de Francis Nyamnjoh est l’histoire d’une prophétie oubliée qui se réalise. Il relate la vie d’un homme qui serait passé inaperçu sans les circonstances extraordinaires qu’il a connues. Cet homme, c’est Prospère, le personnage principal du livre. A Nose for Money est l’histoire d’une ascension fulgurante et d’un déclin tout aussi vertigineux.
Au début du roman, Prospère a 25 ans et est marié à Rose. Prospère est chauffeur-livreur dans une brasserie. Il est ambitieux et décidé à sortir de la pauvreté. Profitant de ses déplacements à la campagne, il achète des provisions dans les régions de production pour les revendre à bon prix en ville. Il est économe à la limite de l’avarice et projette d’acheter un véhicule de transport afin de s’installer à son propre compte. Il finit par se séparer de son épouse Rose après l’avoir surprise avec un homme. Le vœu de richesse de Prospère se réalise lorsqu’au détour d’une route, il rencontre Jean-Claude et Jean-Marie, truands notoires qui font partie d’un réseau international de contrefaçon de monnaie. Ces deux hommes sont sur un gros coup et ont besoin de Prospère comme couverture et comme bouc émissaire. Contre leur gré, ils vont lui offrir la fortune tant espérée. Leur coup réussit mais ils meurent dans un accident en laissant l’argent détourné caché chez Prospère qui se l’approprie.
Et voilà que commence, pour Prospère, une vie d’homme riche avec ses compromissions avec les hommes politiques, les femmes, le luxe et l’impression de d’invulnérabilité et de puissance. Il épouse successivement deux femmes et vit une vie de pacha très tranquille jusqu’au jour où il épouse une troisième épouse qui va se révéler être le déclencheur de tout ce qui va lui arriver par la suite.
J’ai adoré ce livre qui explore des pans de vie qui, pris individuellement, ne représentent pas grand-chose, mais qui, mis ensemble, forment une grande fresque humaine. Prospère, est comme un extraterrestre transplanté dans le milieu où il vit. Il pourrait d’ailleurs être le héros de n’importe quel roman tellement il est atypique et particulier à la fois. Prospère ressemble à tout sauf à un Africain. Il n’a pas de père, pas de mère, pas de frères ou de sœurs, de tantes, d’oncles, de cousins, rien. C’est un homme seul, Dans le roman, j’ai essayé de lui trouver un ou deux amis, mais je n’y ai pas réussi. Le seul lien qu’il a avec son terroir d’origine, c’est un voyant et guérisseur, Seng qui tente de le prévenir et de le prémunir de son destin mais qui, malheureusement, n’est pas écouté. Trouver quelqu’un comme Prospère en Afrique, est presque impossible. C’est comme s’il avait été « téléporté » dans ce pays, cette ville tellement il manque de liens avec son passé et de relations avec son présent. A y regarder de près, Prospère n’a tout simplement pas de passé ou de présent. Toute sa vie est centrée sur cette recherche de richesse future au point qu’il est prêt à sauter un repas ou à ne pas utiliser de condoms pour y arriver le plus rapidement possible. Malheureusement, quand la richesse arrive, il est tellement obnubilé par son désir d’appartenir à sa nouvelle classe sociale qu’il en oublie toutes les expériences utiles pour survivre dans son ancien milieu et qui auraient dû être un atout pour lui.
Prospère traverse le livre et sa vie en laissant une impression de naïveté, irritante et invraisemblable au début du livre, pathétique à la fin. Il échoue dans sa vie parce qu’il n’a pas compris son propre rôle dans la vie des gens qui l’entourent. Il s’est fixé un objectif et une fois cet objectif atteint, il arrête de regarder ce qui passe autour de lui.
Autre trait de caractère de Prospère, son flegme pas tout à fait africain. Sa réaction à la découverte de l’infidélité de Rose m’a laissée perplexe. Et autant il accepte avec philosophie l’infidélité de Rose, sa première épouse, au point de lui pardonner et de vouloir la reprendre, autant l’annonce de l’infidélité de ses deux dernières épouses sont pour lui le coup de grâce. Est-ce la différence dans les statuts sociaux qui déterminent les comportements et les réactions des hommes face à des situations similaires ? Certaines choses sont elles plus faciles à accepter quand on est pauvre que quand on est riche ? Voilà des questions que que je pose à l’auteur.
A mon avis, Prospère n’est pas le personnage principal du roman. Prospère est un prétexte. Un prétexte utilisé par l’auteur pour exposer des aspects de vies africaines, des réalités de la vie de tous les jours, des milieux dans lesquels les dynamiques ne sont toujours pas comprises. Tout y passe, le laxisme, la corruption de nos gouvernants, la prostitution, les stratégies de survie des populations, les systèmes de santé et les alternatives qui leur sont trouvées, les rumeurs, les réputations qui en découlent, les traditions, les liens sociaux, les rapports à l’argent, etc.
Le roman n’est pas tendre avec les femmes. Dans celui-ci, toutes les femmes sont adultères ou libertines, ou sont carrément prostituées. Seules deux d’entre elles sont au dessus de la fange où se vautrent les autres: Mama Rosa, la veuve voisine de Prospère et sa dernière épouse, Monique. Les femmes sont décrites comme vaines et vénales, matérialistes et artificielles, comploteuses et malveillantes, y compris à l’égard de leur époux.
Autant le roman s’appesantit sur les maladies vénériennes et fait une description presque graphique de leurs manifestations, autant il est silencieux sur le SIDA malgré les pratiques suicidaires de nombre des acteurs de ce livre.
Centraux également, les sorciers Seng et Ngek : tous les deux essaient de lui ouvrir les yeux, l’un sans succès et l’autre avec le résultat que l’on sait. Entre les deux, il y a tous les charlatans consultés dans la recherche de solutions aux maladies vénériennes.
Ce livre est vraiment riche d’enseignement pour qui prendrait la peine de le lire à plusieurs niveaux.
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