Par Jean-François Bayart, Peter Geschiere et Francis Nyamnjoh
Critique internationale n°10 - janvier 2001
Yaoundé, capitale du Cameroun, le 14 février 1998. Non loin de la gare, un wagon-citerne de pétrole se couche accidentellement et déverse son contenu sur la voie publique. Devant cette aubaine, les passants et les habitants des alentours se précipitent, qui avec des bidons, qui avec de simples bouteilles. Mais une cigarette provoque une terrible explosion qui fait plusieurs dizaines de victimes. Le même jour, la rumeur court que ces dernières étaient toutes « autochtones » : les « locaux » avaient chassé les « allogènes » du lieu sous le prétexte que le pétrole était « leur » puisque Yaoundé était « leur ville ».
L’invocation de ce clivage est devenue récurrente dans la vie sociale camerounaise. La petite ville de Makénéné, sur la route Yaoundé-Bafoussam, a par exemple connu de graves affrontements entre «autochtones» nyokon et «allogènes» bamiléké, en novembre 1998. En juillet 1999, des fidèles catholiques ont contesté en ces termes la nomination de Mgr André Wouking, bamiléké, comme archevêque de la capitale, faisant écho à une bataille ecclésiale similaire à Douala, en 1987 :
51 prêtres « autochtones » de l’archidiocèse (sur 80) avaient alors adressé au Vatican un mémorandum dénonçant la « bamilékisation de la hiérarchie de l’Église » à la suite de la nomination de Mgr Gabriel Simo comme évêque auxiliaire – raisonnement contesté par l’Assemblée du clergé indigène du diocèse de Bafoussam. Mais la problématique de l’autochtonie au Cameroun ne se limite pas à la stigmatisation de l’« ethnofascisme » bamiléké, à laquelle s’était livré un intellectuel organique du régime Biya en cette même année 1987 et dont le spectre hante en fait le système politique camerounais depuis les années cinquante. Elle se retrouve aussi bien dans le Nord : l’irruption des « broussards », « venants » et autres « populations flottantes » dans l’activité commerciale a remis en cause la « confiance » qui était à la base de la négociation des prix et de la fiabilité du crédit entre « originaires »2 ; et les combats entre Choa et Kotoko, dans la région de Kousseri, ou entre pasteurs et agriculteurs, à Meiganga, ont provoqué des dizaines de morts ces dernières années.
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